Découvert en 2006 avec Honor de cavalleria, le cinéaste espagnol Albert Serra a, depuis, creusé un sillon éminemment personnel, signant des films aussi singuliers que Histoire de ma mort, Leopard d’or à Locarno en 2013, ou, plus récemment, Pacifiction, dérive polynésienne habitée par la composition stupéfiante de Benoît Magimel. Tardes de soledad (Des après-midi de solitude), sa première incursion dans le documentaire, le voit s’emparer d’un sujet controversé, la corrida. Encore le fait-il à sa manière, s’écartant des schémas narratifs traditionnels – nul commentaire ni voix off, et encore moins de jugement -, auxquels il préfère une expérience sensorielle.
Au cœur du film, on trouve donc Andrés Roca Rey, star de la tauromachie contemporaine, que Serra accompagne dans un tourbillon de corridas. Le réalisateur adopte une approche immersive, cadrant au plus près des duels exécutés au son de la rumeur d’un public laissé hors-champ. Il privilégie aussi la répétition et le temps long, venus conférer à son film une qualité hypnotique. Au-delà du tour de force de mise en scène, Tardes de soledad séduit par son ambition, Serra chorégraphiant un ballet où la dimension rituelle côtoie une réalité prosaïque – les commentaires de la quadrille accompagnant le toréro ; la beauté en suspension dialogue avec la cruauté la plus sanglante, et le sacrifice avec la transcendance. Non sans associer le taureau et le torero qui se toisent dans l’arène dans une même solitude. Magistral.
Tardes de soledad
Documentaire d’Albert Serra. Avec Andrés Roca Rey, Antonio Gutiérrez, Francisco Duran.