Après Mawda

hold on to her.

En mai 2018, Mawda Shawri, une fillette kurde irakienne de deux ans embarquée dans une camionnette avec d’autres réfugiés, était abattue par un policier après une course-poursuite sur une autoroute wallonne. L’affaire, avec ce qu’elle disait notamment d’une politique migratoire déshumanisante mais aussi de dysfonctionnements systémiques, devait faire grand bruit. Elle inspire aujourd’hui à l’artiste et cinéaste Robin Vanbesien hold on to her, un interpellant documentaire expérimental. Plus qu’une reconstitution, le film se veut une évocation englobant aussi bien les faits que ce qui les a rendus possibles, tout en suggérant des alternatives. Une démarche adoptant, devant la caméra de Vanbesien, une articulation double. Soit, d’une part, une assemblée multilingue réunissant, dans le cadre de « La voix des sans papiers », divers intervenants, activistes et autres, qui lisent et écoutent l’énoncé des faits avant d’y réagir. Et d’autre part, des échappées poétiques crépusculaires revenant sur les lieux du drame, là où un policier avait tiré sans sommation sur le véhicule transportant notamment Mawda et sa famille, avec l’issue fatale que l’on sait. Un dispositif permettant au film de s’écarter du récit officiel et de nourrir une méditation féconde au fil d’un processus de deuil collectif.

Perspective multiple

Ce projet éminemment singulier, le réalisateur nous en parlait lors du dernier festival du film de Gand. « Au départ, je n’avais pas pensé faire un long métrage, commence Robin Vanbesien. Je menais des recherches sur l’affaire Mawda, lisant notamment les comptes-rendus exhaustifs qu’en avait fait Michel Bouffioux dans Paris Match. J’étais choqué par chacun des détails qu’il exhumait, et j’ai eu envie d’en faire quelque chose. Une idée importante à mes yeux était que si l’on parlait de violence policière systémique, il fallait aussi s’attacher aux alternatives et aux moyens d’en sortir. La résistance et la solidarité qui se sont organisés dans les jours, les semaines et les mois ayant suivi les événements, mais aussi après le procès, m’ont semblé essentiels, et j’ai donc rencontré tous ceux qui étaient montés au créneau. J’avais compilé un résumé couvrant l’affaire de A à Z, et nous l’avons lu ensemble. Je leur ai ensuite suggéré de discuter des moments qui les avaient le plus frappés personnellement, et pour quelques raisons. Ce qui m’a permis d’obtenir une perspective multiple, émanant de nombreuses personnes. Il y avait là des activistes, mais aussi des avocats, et des gens qui avaient pu s’identifier à cette expérience, à savoir des personnes sans papiers qui se sentent criminalisées au quotidien. Nous avons eu de larges conversations dans le cadre de cette assemblée, et c’est de là qu’a découlé le scénario du film. »

La dimension collective est au coeur de son approche artistique souligne Robin Vanbesien. hold on to her en apporte l’éloquente démonstration, l’assemblée étant à la fois espace d’écoute et de réflexion(s), la déconstruction du récit officiel ouvrant sur un champ de possibles, dans une démarche n’étant pas sans évoquer Dahomey, de Mati Diop. « C’est une nécessité de voir des assemblées de citoyens ordinaires évaluer ce qui se produit au niveau de la société, estime le réalisateur. C’est très clair dans Dahomey où, face à une opération de communication autour de la restitution d’oeuvres d’art, ces assemblées s’interrogent sur ce que cela signifie dans une perspective plus vaste, avec à la clé une analyse frontale de ce qui est en jeu. Si les médias ne s’en chargent pas, il est vital de laisser s’exprimer le point de vue de gens ordinaires. C’est un processus fondamental à mes yeux, et je pense que le cinéma peut avoir un rôle important dans sa reconnaissance.« 

Les petites victoires

Ainsi d’un film qui, non content d’épingler des failles systémiques – violences policières, dysfonctionnements de la justice, complaisance médiatique… – se fait lieu de mémoire et expression d’une solidarité porteuse. Ou comment concilier colère justifiée, dénonciation utile et refus de la résignation. Et, partant, espoir de changement. « Nous devons cesser de nous focaliser sur l’impossibilité des choses, poursuit Robin Vanbesien. Il suffit de changer une chose pour pouvoir les changer toutes; il faut travailler sur les petites victoires pour pouvoir en envisager de plus grandes, même si cela peut paraître intimidant. Le film et son titre en minuscules ne disent rien d’autre : il s’agit autant de l’histoire envisagée à un niveau intime et personnel que dans ses enjeux macro et systémiques. Pendant les assemblées, j’invitais les participants à réfléchir ensemble aux causes systémiques. C’est difficile, parce que cela va parfois au-delà de l’imaginable. Un exemple, tiré des minutes de l’affaire : il y a un moment où, pendant cette nuit, les policiers ont affirmé que les parents ont jeté leur propre enfant sur l’autoroute pour arrêter leurs poursuivants. C’est complètement fou et déshumanisant, mais dans les rapports, on voit que le chauffeur de l’ambulance a pris ces propos pour argent comptant, et les a répétés au dispatching. Pourquoi n’a-t-il pas pensé un seul instant que c’était insensé ? Aucun parent n’agirait de la sorte. Dès lors, qu’est-ce qui rend possible que des gens reproduisent de tels propos ? Cela dépasse l’entendement, mais il faut en tenir compte… » Et de poursuivre : « J’ai fait ce film en adoptant une position humble. J’ai un énorme respect pour la force politique des activistes et des sans papiers avec qui j’ai travaillé. Ce que j’ai voulu faire, c’est donner une impulsion, que les gens se rassemblent et éprouvent une forme de solidarité. »

S’il reste attaché à l’histoire tragique de Mawda, le film élargit aussi le spectre, embrassant une perspective globale. Ainsi, lorsque l’un des intervenants observe : « Qui sème la colonisation récolte l’immigration ». « Il me semble crucial de continuer à poser ce cadre, relève Robin Vanbesien. Quand on parle de migrations, il faut cesser de dire que c’est un phénomène anormal. Les gens migrent, c’est normal, ils le font de diverses manières et dans toutes sortes de directions, et il y a des raisons historiques à cela. Il faut prendre cet élément en compte, comme le fait que ces gens recherchent une protection. Ne pas le faire aboutit à la criminalisation et au déni de racines historiques. » Et d’appeler à une évolution de la perception commençant par un changement de terminologie. Plutôt que de migration, le cinéaste invite par exemple à parler de « mouvements internationaux » et de « gens qui se déplacent ». « Commençons au niveau micro, en repensant la façon dont nous parlons, et peut-être que cela pourra remonter au niveau politique et structurel, estime-t-il. On peut parfois se sentir impuissants mais le langage est quelque chose que nous pouvons contrôler. Cessons d’adopter des modes de pensée et des termes automatiques quand on évoque les politiques d’immigration. Repenser les mots nécessite de se poser, et c’est ce par quoi nous devons initier le changement et la transformation… »

hold on to her

Documentaire de Robin Vanbesien.

Première du film suivie d’un Q&A avec le réalisateur ce mercredi à 19h au cinéma Aventure à Bruxelles.

cote: 4/5

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