Vertiges de l’amour

Léa Seydoux et George Mackay © Carole Bethuel

On se souvient que le Saint Laurent de Bertrand Bonello avait été précédé de quelques semaines par YSL de Jalil Lespert. Dix ans plus tard, l’histoire repasse les plats, puisque La Bête arrive sur les écrans dans la foulée de La Bête dans la jungle, de Patrick Chiha, un film inspiré de la même nouvelle de Henry James – avec des résultats totalement différents cependant.

Cette sensation de déjà-vu, on la retrouve au coeur de l’adaptation qu’en propose le réalisateur de Nocturama, qui choisit de décliner La Bête dans la jungle sur trois époques. Le point d’ancrage se situe dans un futur proche, en 2044, alors que l’intelligence artificielle gouverne le monde. Soucieuse de trouver un travail intéressant, une jeune femme, Gabrielle (Léa Seydoux), est invitée à se délester de ses émotions, désormais considérées comme une menace, et de purifier son ADN en se replongeant dans ses vies antérieures. En 1910 d’abord, où on la rencontre sous les ors d’un salon parisien accueillant la bonne société, devisant avec Louis (George MacKay), un « inconnu » affirmant qu’ils se sont déjà rencontrés par le passé en Italie, quand elle lui avait expliqué ne pas pouvoir s’engager dans une relation par peur d’une catastrophe qui viendrait tout anéantir. Et ce dernier de rester à ses côtés pour la protéger de « la bête ». On retrouve le même duo en 2014 à Los Angeles, où elle garde une somptueuse villa des hauteurs de Hollywood entre deux castings, tandis qu’il sillonne la ville, dissimulant sa haine des femmes sous une troublante normalité. Et leur histoire d’amour, si elle traverse le temps, de sembler ne jamais devoir se réaliser…

Du texte de Henry James, Bonello tire un film inscrit au confluent de la science-fiction et de l’éternel romantique, la quasi-dystopie aux accents contemporains se confondant avec un mélodrame où la quête d’absolu dialogue avec la peur de l’amour. Le cinéaste livre une partition virtuose, jonglant avec les genres tandis que la mise en scène fluctue avec bonheur au gré des époques et des univers, fulgurances (la scène de la fabrique de poupées), audaces (l’ouverture sur fond vert) et autres trouvailles (le nightclub aux soirées thématiques déclinées par année – 1973, 1980… – comme autant de microcapsules temporelles) à l’appui. Voyage émotionnel et mental autant qu’aventure esthétique, La Bête est encore un scintillant portrait de femme et de comédienne. Car si l’on saluera la performance de George MacKay, qui a eu la délicate mission de remplacer Gaspard Ulliel, Léa Seydoux est pour sa part prodigieuse, l’actrice imposant une présence intemporelle dont ni l’intensité ni le mystère ne se démentent. Avec elle, Bertrand Bonello a trouvé la partenaire idéale pour signer un film d’exception, aussi fascinant qu’émouvant.

La Bête

Mélodrame de Bertrand Bonello. Avec Léa Seydoux, George MacKay, Guslagie Malanda.

cote: 4/5

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