L’envers du rêve américain

Adrien Brody et Guy Pearce.

Troisième long métrage de Brady Corbet, The Brutalist est un film qui en impose, tant par sa durée hors normes – 214 minutes, dont 15 d’entracte pour séparer ses deux actes – que par son ampleur. Le cinéaste américain y accompagne, sur une trentaine d’années, le destin de László Toth (Adrien Brody), architecte juif hongrois survivant de la Shoah. Un artiste visionnaire formé à l’école du Bauhaus que l’on découvre en 1947, alors qu’il a fui l’Europe pour immigrer aux Etats-Unis avec l’American Dream en ligne de mire, tout en caressant l’espoir d’être rejoint par sa femme Erszébet (Felicity Jones) et leur nièce Zsofia (Raffey Cassidy) dont il a été séparé par la guerre. Direction Philadelphie où l’attendent son cousin Attila (Alessandro Nivola) et de premières désillusions, tempérées par sa rencontre avec Harrison Lee Van Buren (Guy Pearce), un industriel fortuné féru d’architecture qui va bientôt l’engager pour ériger un vaste édifice à la mémoire de sa mère.

Fresque monumentale, The Brutalist n’est pas sans évoquer par son ambition, sa puissance et sa densité l’extraordinaire There Will Be Blood, de Paul Thomas Anderson. Un terrain sur lequel on n’attendait pas vraiment un Corbet dont le précédent opus, Vox Lux, n’avait pas laissé un souvenir impérissable – euphémisme. A travers la relation tumultueuse entre ces deux hommes, l’architecte brutaliste hanté par le passé et mu par un perfectionnisme maladif et son mécène excentrique convaincu de son omnipotence, c’est aussi autre chose qui se joue. Et le film d’embrasser un horizon où il est notamment question de la condition des migrants dans l’Amérique de l’après-guerre, le rêve de Toth venant se heurter à une réalité pavée de racisme et d’antisémitisme sournois, dans un environnement où le capitalisme conquérant s’épanouit dans toute sa violence. Une sombre vision à laquelle le réalisateur donne une expression formelle vertigineuse, avec des scènes inouïes, comme dans les carrières de marbre de Carrare, mais aussi un côté par endroit démonstratif à l’excès. Réserve de pure forme: porté par un étincelant duo d’acteurs – Adrien Brody est formidable dans un emploi rappelant Le Pianiste tandis que Guy Pearce donne à son personnage d’oligarque une stature wellesienne -, The Brutalist mesure la fiction à l’Histoire dans un récit foisonnant, pour un résultat tout simplement magistral.

The Brutalist

Drame de Brady Corbet. Avec Adrien Brody, Guy Pearce, Felicity Jones.

cote: 4/5

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