Dylan et le cinéma, c’est une longue histoire, balisée de documentaires (Dont Look Back, de D.A. Pennebaker, en 1967, ou No Direction Home, de Martin Scorsese en 2005); de passages devant (Pat Garrett & Billy the Kid, de Sam Peckinpah, notamment) et derrière la caméra (Renaldo and Clara); d’un anti-biopic même, l’épatant I’m not There, de Todd Haynes (2007), envisageant la personnalité du chanteur sous la forme d’un puzzle interprété par six acteurs différents. Si elle est forcément plus classique, l’approche privilégiée aujourd’hui par James Mangold dans A Complete Unknown (un titre emprunté aux paroles de Like A Rolling Stone) n’est pas moins passionnante, le réalisateur s’attachant à une période charnière de son parcours, celle courant de 1961 à 1965 qui verra le troubadour folk opérer sa mue électrique, tout en étant passé de parfait inconnu à légende impénétrable.
Bob Dylan (Timothée Chalamet), on le découvre alors qu’il débarque du haut de ses 19 ans à New York, sa guitare et son talent insolent pour seuls bagages. Adoubé depuis son lit d’hôpital par Woody Guthrie (Scott McNairy) et pris sous son aile par Pete Seeger (Edward Norton), le jeune chanteur commence à écumer les clubs folk du Village, balance entre Sylvie Russo (Elle Fanning), une aspirante peintre, et Joan Baez (Monica Barbaro), et voit sa notoriété s’envoler de The Freewheelin’ en The Times They Are a-Changin’. Un destin que le barde, propulsé porte-parole d’une génération par ses textes aiguisés, accueille avec des sentiments ambivalents. Insaisissable et changeant, au point d’envoyer le tout valdinguer lors du festival folk de Newport de 1965 où, sacrilège ultime pour les puristes, il débarque en rockeur électrique, bien décidé à en découdre et à partir se réinventer sous d’autres horizons musicaux…
James Mangold trouve dans l’élan de liberté qu’imprime Dylan à son parcours matière à un film tour à tour émouvant et inspirant. Auteur de Walk the Line, une biographie musicale de Johnny Cash, le réalisateur connaît la chanson, et A Complete Unknown, sans révolutionner le genre, n’en témoigne pas moins d’un incontestable savoir-faire, tant par sa construction dramatique imbriquant habilement les passages obligés (en compressant, au besoin, certains faits) que par le soin apporté à reconstituer la vibration de l’époque. Mangold laisse aussi l’esprit de Dylan imprégner la pellicule, donnant à apprécier la richesse de ses textes en multipliant les passages musicaux; exposant diverses facettes de sa personnalité tout en veillant à préserver son mystère. Un exercice d’équilibriste transcendé par l’extraordinaire composition de Timothée Chalamet qui, en plus de son interprétation bluffante des chansons du Zim et d’un mimétisme troublant, réussit à en restituer l’aura fascinante et énigmatique…
A Complete Unknown
Film biographique de James Mangold. Avec Timothée Chalamet, Edward Norton, Elle Fanning, Monica Barbaro.