Venu à Cannes en 1982 pour y présenter Hammett, Wim Wenders en profitait pour questionner seize réalisateurs sur l’avenir du cinéma, alors à un tournant suite aux évolutions technologiques et à la contamination de l’esthétique télévisuelle. A cet effet, l’auteur d’Alice dans les villes louait la chambre 666 de l’hôtel Martinez – la dernière libre, superstition aidant – et y laissait les intervenants face à une note manuscrite, une caméra, et un magnétophone pour recueillir leurs témoignages. Un dispositif reproduit quarante ans plus tard par Lubna Playoust, interrogeant à l’identique une trentaine cinéastes sur le futur du septième art, confronté à l’avènement des plateformes de streaming notamment. Chambre 666 et Chambre 999, les deux documentaires en ayant résulté, entament aujourd’hui un dialogue passionnant à la faveur d’un double Blu-ray édité par Carlotta.
« Le cinéma est-il un langage en train de se perdre, un art qui va mourir? » La question posée par Wenders dans Chambre 666 suscite un large éventail de réactions – de Steven Spielberg l’envisageant sous un angle économique, à Noël Simsolo observant, lapidaire: « Ce n’est pas le cinéma qui meurt, c’est les gens qui en font » -, en plus d’offrir diverses pistes de réflexion. Si le maître d’oeuvre évoque un « témoignage de son époque », celui-ci s’avère à bien des égards visionnaire. Comme lorsque Antonioni analyse un paysage cinématographique mouvant et la nécessité de s’y adapter: « Il est probable que le futur se présentera avec une férocité encore inconnue aujourd’hui, mais qu’on peut pressentir. Mais j’ai l’impression que ce ne sera pas si difficile de nous transformer en hommes nouveaux, mieux adaptés aux nouvelles technologies. » Ou que Godard, après avoir constaté, cigare aux lèvres, que « le rêve de Hollywood, c’est de ne faire qu’un seul film, mais qui est diffusé partout », souligne à bon droit que « tout le cinéma est né des petits films ».
Une réflexion que se réapproprient Claire Denis et Olivier Assayas dans le film tourné quarante ans plus tard par Lubna Playoust. Si le contexte a changé, les enjeux restent fondamentalement les mêmes – Clément Cogitore évoque la « nécessité des prototypes » face au formatage, tandis qu’Alice Rohrwacher, la réalisatrice de La Chimera, parle du besoin « de collectif, de lieux collectifs, d’expériences collectives (…) à une époque obsédée par l’individualisme. » Manière aussi de réaffirmer, au-delà de mutations bien réelles, une foi indéfectible dans le cinéma en dépit de sa mort souvent annoncée. Ce que Arnaud Desplechin résume d’une formule lumineuse: « Le cinéma n’arrête pas de mourir, c’est le principe de sa vie même ».
Chambre 666
Documentaire de Wim Wenders. Avec Jean-Luc Godard, Susan Sedelman, Michelangelo Antonioni, Werner Herzog… 1982.
Chambre 999
Documentaire de Lubna Playoust. Avec Wim Wenders, James Gray, Rebecca Zlotowski, Alice Rohrwacher… 2022.
2 Blu-ray Carlotta