Architecton s’ouvre sur des images filmées par un drone sinuant dans une ville ukrainienne dévastée par la guerre, une banderole « Kick Russia Out of UN » barrant la façade d’un immeuble éventré émergeant bientôt des décombres. Le prologue saisissant à un voyage pratiquement sans paroles mais sublimé par la musique envoûtante d’Evgueni Galperine qui va conduire le spectateur de l’Ukraine aux vestiges du site archéologique de Baalbek, au Liban; des ruines d’une région de Turquie défigurée par le séisme de 2023, aux espaces béants de gigantesques carrières. Avec, pour rythmer l’ensemble, des arrêts à répétition sur un jardin italien où l’architecte visionnaire Michele De Lucchi travaille, assisté par deux ouvriers, à un nouveau projet paysager, un « cercle magique » de pierre invitant à l’humilité dans notre rapport à la nature.
Dernier essai du documentariste russe Victor Kossakovsky, auteur notamment de Aquarela et de Gunda, Architecton se décline comme une enquête sur la relation entre architecture, nature et civilisation. Et questionne notre rapport à l’habitat, et notamment la manière dont l’homme a délaissé un matériau pérenne, la pierre, pour recourir toujours plus au béton en privilégiant une vision à court terme. Si le plaidoyer pour une architecture durable est par endroit crypté, la réflexion trouve une expression formelle éblouissante, Kossakovsky composant des plans contemplatifs monumentaux dans une approche poétique où les pierres semblent prendre vie, tandis que les constructions et destructions se succédent dans un mouvement hypnotique. Architecton se révèle ainsi une expérience visuelle et sensorielle sans guère d’équivalent. A tel point que l’on en viendrait presque à regretter une dernière scène où le réalisateur interroge l’architecte, venant mettre des mots sur ce que les images suggéraient magistralement.
Architecton
Documentaire de Victor Kossakovsky. Avec Michele De Lucchi.