La fin d’un monde

Retour aux sources pour Thierry Michel qui, quarante-cinq ans après Chronique des saisons d’acier, consacre son nouveau documentaire à la sidérurgie wallonne. Une industrie sur laquelle le réalisateur porte un regard panoramique, L’acier a coulé dans nos veines retraçant son histoire dans le bassin liégeois depuis son envol sous l’impulsion de John Cockerill, jusqu’à son sacrifice sur l’autel de la mondialisation par Arcelor Mittal – une mise à mort dont la destruction du haut fourneau 6 de Seraing, en décembre 2016, constituera le symbole définitif. Non sans en proposer une vision de l’intérieur, s’immisçant dans « les entrailles de la bête », de spectaculaires archives à l’appui, tout en donnant généreusement la parole aux générations de travailleurs dont la vie aura été rythmée par les trois pauses imposées par le fonctionnement en continu des fours.

Classique dans son articulation, le documentaire est passionnant à plus d’un titre. Par sa perspective historique, le film faisant oeuvre de mémoire tandis que s’y noue le destin d’un large pan de l’industrie wallonne et, partant, européenne. Par sa dimension sociale ensuite, le récit accompagnant un demi-siècle de luttes ouvrières, tentatives de repousser une issue rendue bientôt inéluctable par la course au profit, cette dernière étant assortie de son cortège de licenciements – on est passé de plusieurs dizaines de milliers de travailleurs dans les années 50 à un millier d’emplois précaires aujourd’hui – et du démantèlement progressif d’un outil pourtant performant. Un combat inégal – euphémisme – que Thierry Michel raconte par la voix de ceux qui l’ont mené en première ligne, ces hommes dont ressortent la fierté par-delà la pénibilité du travail, la solidarité inébranlable et la résistance acharnée, mais aussi l’amertume et le désespoir. Soit le témoignage vibrant de la fin d’un monde au nom de « la marche funeste du grand capital » – histoire toujours en cours.

L’acier a coulé dans nos veines

Documentaire de Thierry Michel