La route du retour

« Dahomey », de Mati Diop.

« Nous sommes des milliers dans cette nuit, déraciné.e.s, arraché.e.s, butin d’un énorme pillage » énonce une voix caverneuse semblant issue d’un autre temps. Cette voix, c’est celle d’une statue, l’un des vingt-six trésors royaux restitués en novembre 2021 par la France au Bénin, geste constituant le point de départ de Dahomey (du nom de l’ancien royaume africain, situé dans le sud de l’actuelle République du Bénin), l’étonnant second long métrage de Mati Diop. La cinéaste franco-sénégalaise, révélée en 2019 par l’envoûtant Atlantique, y documente le retour dans leur pays d’origine de ces oeuvres, quelques-unes à peine parmi les milliers qu’avaient volées les troupes coloniales françaises à la fin du 19e siècle. Et d’épouser dans un premier temps le point de vue de l’une d’elles, le roi Ghézo – la statue « 26 » – , alors qu’elles entament le périple qui les conduira des couloirs du musée parisien du Quai Branly, au palais d’Abomey, à Cotonou. Mais si l’accueil qui leur est réservé est triomphal – à la mesure d’un événement que la presse qualifie d’« historique » -, cette restitution ne va pas sans charrier son lot de questions et d’interprétations divergentes, venues enflammer les débats d’une assemblée d’étudiants de l’université d’Abomey Calavi.

D’un abord austère, Dahomey se révèle toutefois foisonnant, expérience sensorielle au service d’une réflexion politique puissante. Mati Diop la décline sous la forme d’un double voyage, dans le temps et dans l’espace, convoquant une voix chargée des blessures de la colonisation pour la faire rimer avec les observations de la jeunesse béninoise. Et initiant un dialogue entre imaginaire et réel, entre passé et présent pour nourrir une réflexion féconde sur le (post)colonialisme et ses conséquences dont la restitution des oeuvres serait le pivot. Une démarche trouvant devant sa caméra la plus stimulante des expressions, la réalisatrice s’écartant des schémas narratifs classiques comme des formes éprouvées pour hybrider le documentaire de fiction, à quoi elle ajoute une coloration fantastique. Ours d’or au dernier festival de Berlin, Dahomey sonde la mémoire pour mieux réfléchir l’avenir, en un geste de cinéma aussi passionnant qu’émouvant .

Dahomey

Documentaire fantastique de Mati Diop.

cote: 4/5

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