Autopsie d’un meurtre

Andrée Blouin et Terence Spencer

Au coeur de Soundtrack to a Coup d’Etat, le nouveau long métrage du documentariste Johan Grimonprez (Double Take, Shadow World), on trouve l’assassinat, le 17 janvier 1961, de Patrice Lumumba, le Premier ministre du Congo, survenu quelques mois à peine après la proclamation de l’indépendance du pays. Un événement tragique dont le réalisateur s’emploie à dévoiler les ressorts dans un savant collage d’archives où les collusions politiques et autres machinations retorses s’effectuent au son de la Note bleue. Nulle coquetterie dans cette option musicale : les Etats-Unis ont utilisé le jazz comme outil politique, envoyant des légendes – Louis Armstrong et d’autres – en tant qu’ambassadeurs au Congo et ailleurs, et s’en servant à leur insu comme couverture pour des opérations moins avouables. Et de nombreux jazzmen étaient des artistes ouvertement engagés, à l’instar d’Abbey Lincoln et Max Roach faisant irruption à l’Assemblée générale de l’Onu afin de protester contre l’élimination de Lumumba.

Omniprésent, le jazz donne au film un son et un rythme, mais aussi sa texture, alors que Grimonprez dévide le fil d’une histoire s’insinuant au coeur de la guerre froide, et courant de 1955 au milieu des années 60, avec des extensions bien au-delà. A la voix de l’activiste centrafricaine Andrée Blouin (dont des extraits de My Country, Africa sont lus par Marie Daulne) se superpose celle de l’auteur In Koli Jean Bofane (Congo Inc.); aux discours et coups d’éclat de Nikita Khrouchtchev à la tribune des Nations Unies, répondent les interventions de Jawaharlal Nehru ou de Kwame Nkrumah; aux prises de parole de Lumumba, celles de Allen Dulles, directeur de la CIA à l’époque. Des témoins et acteurs-clés parmi beaucoup d’autres, Grimonprez s’étant appuyé sur une somme d’archives considérable. Il en tire la matière d’un film politique à la mécanique de thriller, resituant la crise du Congo et les circonstances ayant conduit à l’assassinat de Lumumba dans un contexte international mouvant, où se télescopent décolonisation, émergence du mouvement des non-alignés, panafricanisme, défense des droits civiques, luttes d’influence entre grandes puissances, mais aussi intérêts économiques et stratégiques supérieurs liant Belgique et Etats-Unis…

Ebouriffant dans sa forme, le montage de Rik Chaubet épousant les contours d’une improvisation jazz parfaitement maîtrisée, Soundtrack to a Coup d’Etat ne l’est guère moins dans son propos. Naviguant dans cette somme d’informations, Johan Grimonprez s’emploie à démêler un écheveau particulièrement complexe, établissant rimes, correspondances, connexions souterraines et résonances contemporaines, le tout serti dans un écrin sonore vibrant. Pour livrer au final un fascinant objet de cinéma, aspirant le spectateur dans le tourbillon de l’Histoire et d’un combat pour la liberté que le réalisateur décrypte avec brio. Magistral.

Soundtrack to a Coup d’Etat

Documentaire de Johan Grimonprez. Montage: Rik Chaubet.

cote: 4/5

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