Nadia Melliti, une révélation

Nadia Melliti dans « La petite dernière », d’Hafsia Herzi.

Troisième long métrage d’Hafsia Herzi, La petite dernière consacre l’éclatante révélation d’une actrice, Nadia Melliti, Prix d’interprétation à Cannes pour sa première apparition à l’écran. Elle y incarne Fatima, jeune femme musulmane dont l’acceptation de son identité lesbienne se heurte à ses conflits intérieurs et à son environnement. Un récit d’éveil amoureux et d’émancipation féminine inspiré du roman autobiographique de Fatima Daas, auquel Nadia Melliti apporte justesse et lumineuse intensité. Et une aventure que la comédienne, par ailleurs étudiante en Sciences et Techniques des activités physiques et sportives (STAPS) à Paris, nous racontait lors du dernier festival de Gand. Making of.

Casting sauvage. « Un jour où je me dirigeais vers les quais de Seine, à Paris, j’ai rencontré Audrey Gini, la directrice de casting, qui m’a dit rechercher un personnage d’origine maghrébine et m’a fait le pitch du scénario. Je ne savais pas ce qu’était un casting sauvage, elle m’a expliqué que ça consistait à recruter des personnes dans la rue, et elle m’a demandé si ça m’intéresserait. Je ne me rendais pas vraiment compte de l’enjeu, et je lui ai répondu oui, mais de manière très évasive. Je n’y ai plus pensé, mais plus tard, j’ai reçu un appel, me demandant de venir à un casting à Paris. Arrivée sur place, je vois qu’il y a plein de gens, et je commence à me questionner sur ma capacité à pouvoir faire une performance, parce qu’il y a du monde, et que je ne me sens pas à ma place parmi ces gens qui ont peut-être fait des cours de théâtre ou des études de cinéma, tandis que moi, je suis étudiante en STAPS, je n’ai rien à faire là. Et puis, je me dis que je ne dois pas me mettre autant la pression, mais me laisser une chance de découvrir l’inconnu. On me demande de faire une improvisation, et j’y prends goût. Je repars avec le sourire, parce que j’ai kiffé, j’y ai pris du plaisir, ce qui, pour moi, est un facteur essentiel à l’apprentissage. Au fur et à mesure, plus j’y retournais, plus je m’apercevais que certaines personnes n’étaient plus de la partie. Et je me disais : « peut-être que tu as des compétences, parce que tu es encore là. C’est comme Koh-Lanta, il n’en restera qu’un, donc il faut se donner les moyens de rester jusqu’à la fin… » Jusqu’au jour où je reçois un appel me disant que la réalisatrice voudrait me rencontrer. »

Coup de foudre artistique. « La directrice de casting m’avait conseillé de lire le livre de Fatima Daas, mais sans obligation. Et elle m’avait expliqué que c’était une adaptation de Hafsia Herzi. Je ne la connaissais pas du tout, mais je suis allée me documenter. J’ai vu toute sa filmographie, parce que pour moi, c’était une évidence de m’intéresser à son travail. Ce serait un énorme manque de respect de venir se présenter devant une réalisatrice sans rien savoir d’elle. Lorsque j’ai rencontré Hafsia, j’ai été éblouie. L’intuition n’est pas quelque chose de palpable, mais dès l’instant où je suis rentrée, j’ai senti que ça allait bien se passer. On a commencé à parler du personnage, de ce que je faisais dans la vie, je lui ai fait part de mon cursus scolaire, de ma passion pour le foot, et elle m’a dit « c’est super ça, on peut mettre un peu de foot dans le scénario. » Une relation complice, de confiance s’est installée. J’avais quand même des préjugés sur ce milieu, je pensais qu’il y avait beaucoup de prétention, de sévérité, d’autorité, de manque d’humanité peut-être, et je tombe sur une réalisatrice qui efface tout ça. Des nos premiers regards, on s’est comprises. J’avais l’impression d’être vraiment entendue, il y a eu une relation d’égale à égale, pas dans la verticalité; une relation horizontale où il y avait des échanges, j’ai trouvé ça cool. Et après, comme dans la plupart des coups de foudre artistiques, moi, j’ai fait confiance aveuglément. »

Le cinéma, un sport collectif. « Même si c’était une première expérience, je ne pouvais pas arriver et faire la non-professionnelle, il fallait que je sois à la hauteur de la confiance qu’elle m’avait accordée, et des exigences. Je l’ai été rapidement, et ça, je pense que c’est un côté sportif qui a refait surface. Dans l’esprit de compétition, on a toujours le besoin de se satisfaire soi, cela vaut pour les sportifs mais aussi pour d’autres. Si on veut gagner un match, il faut mettre la barre très haut, faire des efforts, être concentrée, attentionnée, il y a plein de choses qui émanent de nous mais aussi des autres. Quand un camarade sur le terrain n’est pas content de votre performance, ça vous fait mal. Même si vous avez la capacité de rebondir plus tard, c’est un sport collectif : l’avis de chacun compte, la contribution aussi. Et sur le plateau, j’ai trouvé que c’était exactement la même ambiance. Il y a une réalisatrice qui donne des directives, des techniciens qui abattent un travail monstre…, il y a toute une alchimie d’individus, un tas d’ingrédients qui se concilient pour faire une bonne recette. Et Hafsia, elle a été le cerveau de tout ça, très minutieuse et juste, et en même temps très humaine. »

De Fatima à Nadia. « Cela s’est fait en plusieurs étapes. A la lecture du roman, il y a beaucoup d’imaginaire qui se met en place, avec la créativité qui l’accompagne : on peut créer le personnage comme on veut. Quand j’ai lu le livre, je me suis créé un personnage virtuel, que j’ai concilié avec l’image de Fatima Daas lorsque je l’ai rencontrée, sa façon de s’habiller, de parler, sa coiffure, son ton, son énergie, si elle prenait beaucoup de place ou si elle restait plutôt de son côté…J’ai attribué ces petites choses à mon personnage virtuel, ce qui m’a permis d’en créer un autre. Après, il fallait que je le propose à Hafsia, pour voir si c’était en adéquation avec son scénario, et elle m’a dit que c’était tout à fait ce qu’elle recherchait. « 

Du livre au film. « Entre le livre et le scénario, il y a des différences : le père n’est pas aussi sévère et autoritaire dans le film que dans le livre, où il est beaucoup plus étouffant, beaucoup moins sympathique. L’imam est aussi différent. Dans le roman, quand Fatima va à sa rencontre, elle arrive dans un lieu lugubre, assez humide, pas très engageant. Et elle se dit: « j’ai commis un péché, j’ai l’impression que je vais être punie, sanctionnée. » C’est une dimension qu’on n’a pas reproduite dans le film, parce que ce n’était pas nécessairement intéressant de la représenter puisqu’il y a aussi des personnes pour qui ça se passe bien, qui se trouvent dans des contextes favorables à la discussion, et qui pour autant ne vont pas le faire, parce qu’il y a aussi la peur du rejet ou de décevoir les autres. »

Les scènes d’intimité. « Les scènes d’intimité, il y en a plusieurs dans le film. Au départ, Fatima est jeune, elle est au lycée, c’est une adolescente. Elle n’a pas d’expertise, et si elle a une relation avec quelqu’un, il faut qu’on voie que c’est sa première fois, qu’elle est dans la retenue, silencieuse. Au contraire, à l’université, à un moment donné, elle enchaîne les relations, et il faut qu’on voie qu’elle acquiert une certaine expertise. Comment va-t-elle caractériser cette expertise ? On a travaillé de sorte que, quand elle était adolescente, si elle était au-delà de ce que voulait Hafsia, si le personnage était plus investi qu’elle ne l’était à l’origine, Hafsia allait dire « ça ne va pas, parce que là, elle est trop professionnelle. » Et au contraire, quand on était à l’université, s’il y avait une séquence où ça restait encore dans le non-professionnalisme, elle était là : « non, il faut montrer qu’elle gère, qu’elle est professionnelle, sinon on va se moquer de vous. » Et moi, je rigolais, parce que c’est drôle de dire : « sinon on va se moquer de vous ». Mais ça nous invite à nous questionner sur la perception qu’on veut donner de notre performance, et sur les enjeux, et ça améliore les performances. Ce qui était intéressant avec Hafsia, c’est que comme c’est une actrice, elle a cette faculté à diriger ses acteurs de manière juste, en se mettant aussi à leur place et en apportant sa qualité d’actrice avec sa capacité de jouer un personnage et un rôle. »

Maîtrise des émotions. « On est vraiment dans la tête du personnage, même dans la mise en scène, parce que Hafsia utilise des gros plans, donc on voit les émotions du personnage sur son visage. Il y avait un enjeu de maîtrise des émotions, il fallait garder sa concentration, ne pas la laisser s’évader, parce qu’à partir du moment où elle vous échappe, la récupérer prend du temps. Le but était donc de rester concentrée un maximum et de garder cette énergie-là, d’éviter de parler à la terre entière entre les prises. Et si on passait d’une séquence assez joviale à quelque chose de plus solitaire, renfermé, de questionnement, d’être capable de switcher très rapidement. Pour un premier rôle, c’était assez difficile, et mon vécu de sportive m’a vraiment aidée, dans le sens où j’ai l’habitude de maintenir, de contenir mes émotions. C’est beaucoup de concentration, et en même temps, il y a Hafsia qui vient vous voir et vous dit : « Là, il faut que ça vienne des tripes, il faut que tu le sentes dans ton ventre, que tu sentes qu’il y a quelque chose qui s’anime en toi, que tu ressentes les émotions comme si tu étais en train de les vivre en direct. » Et donc, très rapidement, j’ai imaginé qu’il se passait quelque chose dans mon ventre, un petit nuage où je mets en confrontation les deux personnages qui sont en action, et j’imagine des émotions qui vont m’aider à prendre appui sur un vécu à travers une visualisation, et ça fonctionne. »

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