« C’est plus compliqué d’être Charles Trenet que Jacques Brel »

William Lebghil et Clara Luciani dans « Joli, joli ».

En mars dernier, le Festival international du film francophone de Namur lançait les festivités de son 40e anniversaire en s’associant au festival d’humour « Namur is a Joke » pour la première de Joli Joli, comédie musicale enjouée de Diastème invitant à chanter sous la neige dans un Paris seventies fantasmé. L’occasion de rencontrer l’auteur-compositeur-interprète Alex Beaupain, le collaborateur privilégié de Christophe Honoré ayant signé les chansons du film.

-D’où vient votre intérêt pour la comédie musicale ?

-Cela vient forcément de l’enfance. Les gens pensent qu’ils n’aiment pas la comédie musicale, mais les premiers films que l’on voit, qui généralement sont des films de Walt Disney, sont des comédies musicales. Curieusement, on accepte que des personnages se mettent à chanter à partir du moment où ce sont des dessins animés, mais dès qu’on passe à de vrais acteurs, plein de gens considèrent que cela leur demande une suspension de l’incrédulité compliquée. Moi, j’ai aimé ça d’abord parce que j’ai vu des films de Walt Disney où ça chante et ça danse énormément, mais aussi parce que j’ai eu un très tôt un rapport à la chanson, parce qu’on écoutait beaucoup de musique à la maison, ma mère jouait du piano et de la guitare, chantait, je faisais de la chorale… Et quand j’ai découvert qu’indépendamment des films de Disney, il pouvait y avoir des films comme ceux de Jacques Demy, Peau d’âne pour commencer, ou Chantons sous la pluie, qui passait systématiquement à Noël sur FR3, et que le cinéma et la chanson pouvaient se rencontrer, je me suis dit que c’était la plus belle chose qu’on pouvait imaginer. Très tôt, participer à la confection de ce genre d’oeuvre a nourri mes fantasmes d’enfant puis d’adolescent. Ca m’émerveillait, et ça m’intéressait, pour une raison aussi que je peux exprimer maintenant, mais que je n’avais pas ressenti plus jeune, à savoir que, ce que j’aime dans la comédie musicale, c’est que les chansons ou les morceaux musicaux permettent quelque chose que le dialogue ne permet pas au cinéma. L’expression des sentiments, le lyrisme sont très compliqués à faire passer par des dialogues, ce sont souvent des choses très écrites qui deviennent soit très cucul, soit pathétiques. Alors que c’est tout de suite moins ridicule en chanson, dont c’est le domaine. La comédie musicale permet de raconter des histoires d’amour avec une forme, la chanson, qui est plus à même de le faire que le dialogue.

-Quelles sont les spécificités de l’écriture d’une chanson pour une comédie musicale par rapport à un album?

-Pratiquement, il y a un truc très bête pour moi qui écris pour des albums, c’est que quand, en tant qu’auteur-compositeur, je me mets à écrire pour moi, les sujets sont infinis, je peux écrire sur n’importe quoi, je n’ai aucune contrainte. C’est très chiant, et plus pénible quelque part, parce que l’angoisse de la page blanche est beaucoup plus facile. Pour une comédie musicale, ça dépend du projet. Avec Christophe Honoré, on a fait deux films qui sont vraiment des comédies musicales : Les chansons d’amour, où c’était simple parce que ça partait de deux chansons à moi qui existaient déjà sur lesquelles il a écrit un scénario, si bien qu’à part faire chanter les acteurs, je n’avais rien à faire. Et Les Bien-aimés, qu’on a écrit un peu comme Joli, joli avec Diastème, c’est-à-dire qu’il écrivait son scénario, et au fur et à mesure advenait une chanson dont il me donnait généralement le sujet, le type de musique qu’il souhaitait et quel personnage allait la chanter. Et partant de ça, il fallait écrire. En général, il m’envoyait aussi un petit lien YouTube avec une chanson de France Gall ou de machin, en me disant : « Tiens, si ça pouvait ressembler un peu à ça« . Moi, ça m’amuse, parce qu’il y a un truc d’artisan, d’essayer de, même si à la fin, ça ne ressemblait plus du tout à ça, ça me ressemblait à moi.

-Le casting a une importance fondamentale…

-Ce qui m’a toujours intéressé dans le type de comédies musicales françaises que l’on fait, c’est comment on peut faire chanter des acteurs dont ce n’est pas forcément le métier. Les anglo-saxons ont une formation, une tradition qui fait qu’ils ne sont pas complètement « armoires » quand il se mettent à chanter ou à danser, ça leur est naturel. Nous, c’est beaucoup moins le cas. Il y avait Jacques Demy, mais il s’en foutait : il prenait de vrais chanteurs, et les acteurs faisaient du play-back dessus. Moi, c’est ça qui m’intéresse: écrire des chansons, cela reste écrire des chansons, ce n’est pas ce qu’il y a de plus compliqué. Ce qui l’est, c’est comment, avec des acteurs et des actrices qui ne sont pas forcément de grands vocalistes, je vais arriver, entre la fragilité qu’on peut trouver émouvante – c’est tellement mignon, des gens qui incarnent et qui chantent mal – et le truc, un peu technique, à les mettre en place. C’est un travail de studio, de répétitions, de recherche, où tout dépend de qui on a en face de soi. Il faut trouver chaque fois une méthode. C’est vraiment ce travail avec les acteurs ou les actrices qui m’intéresse, savoir comment je peux les amener à une interprétation qui ne recourt pas aux ficelles de la facilité qu’on a souvent dans les films français. Et qui consiste à susurrer ou parler-chanter, parce que, de toute façon, par sa force d’incarnation, cette émotion, cette voix un peu cassée va passer. Plus je travaille, plus c’est ça qui me passionne.

-Avec Diastème, comment s’est passée cette mise en scène/écriture à quatre mains ?

-Ce n’est pas à quatre mains : l’écriture, Diastème a été assez gentil pour me créditer comme coscénariste, mais je ne le suis que parce que j’ai écrit des chansons qui sont des éléments qui peuvent faire avancer l’action. Tout ce qui est de l’ordre du dialogue parlé, de l’intrigue et de la construction dramaturgique, c’est Diastème. Même si, comme il y a dix-huit chansons, c’est assez juste de considérer que ça fait partie du scénario et que ça raconte aussi l’histoire. Mais les choses restent assez partagées. Sur la suite, on a tout enregistré à l’avance, donc j’ai une espèce de final cut sur les voix telles qu’elles vont être dans le film, même si Diastème est en studio pour dire si la tension n’est pas tout à fait celle qu’il imaginait. Il me laisse une prééminence à cet endroit. Ensuite, sur le tournage, je me tais. Je suis derrière le combo, et pour une raison pénible pour tout le monde, je regarde s’ils font bien le play-back. Et je vais les trouver pour leur rappeler qu’ils faut chanter pour de vrai, parce que s’ils ne font pas, on va voir qu’ils ne respirent pas, et on ne va pas y croire. (…) C’est forcément un film de Diastème et moi, parce qu’on se connaît très bien et qu’on y a apporté chacun, mais les rôles sont assez séparés.

-C’est aussi le cas avec Christophe Honoré, avec qui Marcello Mio constituait votre dixième collaboration?

-Oui, absolument. J’estime que le film n’est jamais le mien. Joli, joli, c’est un film de Diastème, il est l’auteur principal. Et c’est encore plus vrai avec Christophe pour ses films. Après, forcément, je vois des montages, on me demande mon avis, je le donne, ils m’écoutent ou ils ne m’écoutent pas; ils m’écoutent quand je leur dis que ça va dans la bonne direction, moins si je leur dis qu’il faut couper des trucs (rires). J’adore, sur ce genre de projet, être au service. J’aime l’idée d’être au service d’un réalisateur, de quelqu’un qui a une vision, comprendre ce qu’il veut et réussir à le satisfaire. Cette position de collaborateur au sens où j’obéis aux directives d’un créateur m’intéresse infiniment. Pour que ça fonctionne, il faut que ce soit cloisonné.

-La tonalité de votre travail avec Christophe Honoré est plutôt mélancolique, alors qu’ici, on est dans quelque chose de plus joyeux et léger…

-Oui. Avec Christophe, c’est du drame musical plutôt que de la comédie musicale. Ici, c’était une volonté de Diastème. Quand il me dit « on va faire une opérette », je vois très bien de quoi il veut parler, et c’est très bien, parce que c’est fort éloigné de ce qu’on a essayé de faire avec Christophe. C’est beaucoup plus difficile d’écrire des chansons joyeuses que d’écrire des chansons tristes; beaucoup plus compliqué d’être Charles Trenet que Jacques Brel. Ecrire des choses sur le bonheur, sur la joie sans que ce soit ridicule est un vrai défi, et c’est ce qui m’amusait sur Joli, joli. L’intérêt, c’est que le travail sur Joli, joli était beaucoup plus codifié, et répondait plus à des règles, que ce soient celles de l’opérette ou de la comédie musicale qui en découle. La comédie musicale au sens le plus classique, comme celles de la MGM des années 50, fait qu’on a quelques repères : on sait que le thème d’amour va plutôt être une valse, parce que c’est souvent comme ça qu’elles sont organisées, qui va se transformer après en pas de deux. Et qu’à la fin, ce sera un thème plutôt binaire, une espèce de marche, comme A Chorus Line ou New York, New York. Il y a des rendez-vous et des références. Avec Christophe, j’écrivais plus des chansons pouvant ressembler à celles qu’on trouve dans mes albums. Avec Diastème, sans que ça soit du pastiche, il y avait l’idée de s’amuser avec le genre et d’aller faire, pour rire, son moment de grand final, son moment de générique du début mêlant tous les thèmes, son moment de chanson un peu tango comme on a pu en trouver dans certaines comédies musicales. C’est plus compliqué parce qu’il faut écrire des choses un peu plus enlevées, et à la fois, comme on a les références et les codes, ça permet de s’amuser un peu en artisan. Mais je ne suis pas en train de dire que c’est réussi : au bout du compte, cela ressemble à mes chansons à moi. Hélas, cela ne ressemble ni à du Gershwin, ni à du Kurt Weill, ni à du Bernstein, j’en suis conscient, mais on s’est amusés avec cette idée.

-Comment expliquez-vous qu’en dehors de la figure tutélaire de Jacques Demy ou de Christophe Honoré justement, la comédie musicale reste un genre plutôt marginal en France ?

-Déjà, Jacques Demy, ça a marché au début, mais plus après. Dès Les demoiselles de Rochefort, ses films ne sont pas des succès publics, ils le deviennent a posteriori. Peau d’âne, il n’a pas d’argent pour le faire, ça finit par passer à la télévision, et les enfants s’en emparent. Jacques Demy en a chié toute sa vie pour monter des comédies musicales. A part Les parapluies de Cherbourg, ses films ne fonctionnent pas très bien. Une fois que c’est dit, comment l’explique-t-on ? Ce que je disais pour les acteurs ou les actrices est valable pour les spectateurs aussi : il y a une culture différente de ça, ou tardive, avec des comédies musicales qui ne sont pas forcément ma tasse de thé, comme Starmania ou Notre-Dame de Paris. On n’a pas à Paris, comme on peut avoir à Londres ou New York, des quartiers entiers dévolus à la comédie musicale. Ca crée une culture de spectateurs qui fait qu’on est peut-être moins aptes à accepter ce truc-là, où alors quand il nous est importé des anglo-saxons, parce qu’on considère qu’ils savent le faire. Mais surtout, et cela me désespère un peu parce que ce n’est pas ce que je préfère, les gens sont très naturalistes. Ils vont chercher au cinéma, et peut-être plus dans le cinéma français parce qu’il le propose plus, quelque chose de réaliste. La suspension de l’incrédulité que suppose la comédie musicale les insupporte. Ca insupporte les gens quand quelqu’un se met à chanter au milieu d’un film parce que leur plaisir de spectateurs vient aussi du fait qu’ils y croient. Les gens ont besoin que les choses soient crédibles, et il n’y a rien qui casse plus ce besoin de croyance que quelqu’un qui se met à chanter au milieu d’un film. Ca n’existe pas, et les gens trouvent cela incroyable. Moi aussi, je trouve que c’est incroyable, mais pour moi, c’est un compliment.

3 questions à Diastème

Co-scénariste pour Christophe Honoré (Tout contre Léo) ou Antoine De Caunes (Coluche, l’histoire d’un mec), réalisateur du Bruit des gens autour, Un Français ou Le monde d’hier, Patrick Asté, alias Diastème, fait, avec Joli joli, ses premiers pas dans l’univers de la comédie musicale.

-Qu’est-ce qui vous a donné envie de vous frotter à l’univers de la comédie musicale ?

-Avec Alex Beaupain, nous sommes amis depuis 25 ans, on avait un peu travaillé ensemble au théâtre, mais on n’avait jamais écrit ensemble. Ce désir était là, et comme je viens moi aussi de la musique, on s’est dit « amusons-nous », et on est partis sur l’écriture de ce que nous appelions, entre nous, une opérette qui, au fil du temps et des écritures, est devenue cette comédie musicale. L’écriture d’une opérette répond à des règles très strictes : ça doit être d’époque, en quatre actes, avec un empêchement, un retournement de situation ou un quiproquo à la fin de chaque acte, et ça doit se terminer bien. C’était très agréable à l’écriture, parce qu’il y a une structure de comédie classique – comme chez Marivaux ou Molière – avec des contraintes qui sont toujours excitantes.

-Pourquoi avoir choisi de situer le film en 1977 ?

-Il fallait que ça soit d’époque, et j’aimais bien que ça soit les années 70. Avec l’idée aussi de parler d’un cinéma qu’on a beaucoup aimé et qui n’existe quasiment plus, c’est-à-dire le cinéma français ou italien des années 70. Et 77, on l’a choisie parce que c’est une année musicalement assez folle, qui démarre avec les hippies et la musique californienne, avec le punk qui arrive au milieu, et puis le disco. C’est une année qui permet, même en termes de costumes, de faire évoluer le temps. Contrairement à d’autres de mes films, Joli joli est un film sur lequel on pouvait s’amuser à tous les postes, avec l’idée de tout tourner en studio, comme dans les comédies musicales de la MGM. On s’est donc amusés avec les décors, les costumes en cherchant à faire quelque chose d’un peu joyeux, coloré, clinquant, dans un petit clin d’oeil aussi à ce qu’a pu être Jacques Demy à un moment.

-Dans quelle mesure avez-vous pensé Joli, joli comme un hommage ?

-On s’est dit assez tôt que ce qu’on voulait faire, c’était un film un peu libre, drôle, joyeux, qu’on pouvait s’accorder sur des clins d’oeil et des adresses au spectateur, mais qu’on ne voulait pas faire un pastiche. La limite a toujours été de ne jamais tomber dans le pastiche, et de rester très droit sur notre histoire, et sur nos personnages. Il ne s’agissait pas de faire une parodie de comédie musicale, mais de s’inscrire dans le genre très modestement, avec un vrai plaisir et une envie de donner le sourire aux gens. Je sortais du Monde d’hier, un film très sombre et politique, une espèce de cauchemar, et il y avait cette volonté folle, de ma part, et de celle d’Alex, qui n’est pas toujours joyeux dans ses chansons et ses albums, d’aller vers quelque chose de solaire, de lumineux. Les spectateurs nous disent que c’est un film qui donne envie de tomber amoureux, même aujourd’hui, dans le monde dans lequel on vit; c’est même un peu un acte politique.

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