De Still Life à Au-delà des montagnes, Jia Zhang-ke a consacré une bonne partie de sa filmographie à observer les mutations profondes de la Chine. Il n’en va pas autrement aujourd’hui de Caught by the Tides, un film se déployant dans trois villes sur vingt-cinq ans, et accompagnant le destin amoureux d’un couple – Zhao Tao, la muse du réalisateur, pour leur neuvième collaboration, et le fidèle Li Zhubin – ballotté au gré des méandres de l’existence. Rythmée par des chansons populaires plutôt que par des dialogues, l’histoire s’ouvre en 2001 dans la ville minière délabrée de Datong, dans le Shanxi. C’est là que l’on découvre Qiaoqiao (Zhao Tao), danseuse engagée dans une relation compliquée avec Bin (Li Zhubin), ce dernier la quittant bientôt pour aller chercher fortune ailleurs. Refusant de renoncer à leur amour, la jeune femme tente de retrouver sa trace, ce qui l’emmène, cinq ans plus tard, à Fengjie, sur le Yangtsé, alors que la construction du barrage des Trois-Gorges est sur le point de déplacer des centaines de milliers de personnes. Leurs pérégrinations les conduisent enfin à Zhuhai City avec les années 2020, alors que l’épidémie de Covid remodèle la société chinoise sans l’empêcher de poursuivre sa marche en avant.
Caught by the Tides est un film fascinant, croisant fiction amoureuse et images documentant l’évolution de la Chine suivant un fil narratif parfois un peu lâche. Jia Zhang-ke en profite pour revisiter son cinéma, de Unknown Pleasures à Les Eternels, recyclant certains plans auxquels il agrège des rushes accumulés avec son chef-opérateur, Yu Lik-wai, au gré de leurs voyages, et multipliant ce faisant les formats et les supports. Témoignant de la marque du temps sur les lieux et les êtres, le résultat est parfois déroutant mais toujours passionnant, non sans dispenser une émotion subtile. Portant un regard critique sur les transformations de la Chine contemporaine, cette oeuvre-synthèse se révèle, au final, aussi troublante qu’envoûtante.
Caught by the Tides
Drame de Jia Zhang-ke. Avec Zhao Tao, Li Zhubin.