Premier long métrage de la réalisatrice belgo-japonaise Miwako Van Weyenberg, Soft Leaves trace le portrait délicat d’une jeune fille de 11 ans ayant grandi à la croisée des cultures. Elle s’appelle Yuna et vit, depuis le divorce de ses parents, avec son père, Julien, à qui l’unit une belle complicité. Un équilibre qui va voler en éclats lorsqu’un accident domestique plonge ce dernier dans le coma, précipitant le retour du Japon d’Aika, la mère de la préadolescente. Le point de départ d’un récit d’apprentissage sensible dont nous parlait la réalisatrice il y a quelques jours à Bruxelles.
Ce film, la jeune cinéaste, formée au RITCS et autrice auparavant des courts Hitorikko (2014), Il faisait noir (2015) et Zomerregen (2017), confie l’avoir porté pendant sept ans. « J’ai commencé l’écriture début 2018, le projet a connu de nombreuses évolutions. Dès le départ, je trouvais important de partir des émotions. L’écriture, c’était vraiment les émotions, puis les personnages et enfin une histoire. Pendant longtemps, je n’avais ni l’événement qui se passe dans le film, ni les obstacles. J’aime commencer par quelque chose que je connais bien. Etant moi-même moitié belge, moitié japonaise, c’était très confortable de partir des émotions de Yuna, puis de construire une histoire. » Laquelle adopte donc les contours d’un récit initiatique. Un choix qui s’est, pour ainsi dire, imposé, comme l’explique Miwako Van Weyenberg : « Avoir un enfant pour personnage principal, je n’ai pas l’impression que c’est une décision que j’ai prise, c’est venu naturellement avec les émotions et l’histoire que je voulais raconter. C’était le point de vue d’un enfant. Mais c’est presque un hasard, et c’est bizarre, parce que dans les trois courts métrages que j’ai faits avant, c’était aussi un enfant qui avait le rôle principal. C’était le choix logique pour raconter cette histoire, même si j’aurais pu aussi bien raconter celle de la maman. Mais j’ai fait le choix de raconter ces émotions à travers Yuna : Soft Leaves parle de la recherche d’identité dans des cultures différentes, mais aussi dans une famille, et du lien entre les deux. Pour moi, dans ma vie personnelle, c’est impossible de séparer les deux. C’est ça aussi qui fait le film dans le non-dit : j’ai fait le choix que, à côté des quatre langues du film, il y en ait une cinquième qui soit le silence et le non-dit. »
Masculin/Féminin
Empruntant à l’expérience personnelle de la réalisatrice, l’histoire n’est pourtant pas autobiographique. Pour l’anecdote, Soft Leaves avait, du reste, été écrit au masculin dans un premier temps, comme pour mieux brouiller les pistes : « Dans mes courts métrages aussi, c’était toujours un garçon dans le rôle principal. Je pense que c’était pour créer une distance. Comme je pars d’émotions très personnelles, avoir un garçon me permettait de dire: « c’est un garçon, ça n’a rien à voir avec moi ». Avoir ce recul constituait une sécurité. Mais je n’ai pas changé grand-chose dans le scénario quand le personnage principal est devenu Yuna. Je n’ai pas réécrit les dialogues parce que c’était une fille, par exemple. S’il y a eu des changements, c’est plutôt dans les dynamiques… »
Ce passage du masculin au féminin, il s’est imposé en cours de casting : « C’était un casting un peu spécial, parce que je ne cherchais pas des acteurs ayant de l’expérience, mais un enfant belgo-japonais dans une certaine tranche d’âge, parlant ces langues… On a cherché dans la communauté japonaise dont je fais partie, en passant par l’école japonaise, les restos, et j’ai été surprise, parce que, alors qu’il s’agit d’un rôle tellement spécifique qui était aussi le rôle principal, on a eu 72 candidats. C’est un cliché que j’entends souvent répéter, mais dès le moment où j’ai vu Lill Berteloot, il était clair que c’était elle. Alors que c’était un garçon pendant l’écriture, quand j’ai vu Lill, c’est devenu Yuna. C’est un sentiment qui s’est imposé, sans que je puisse expliquer pourquoi. » Et Yuna, si elle est forcément assez proche de la réalisatrice – « pas dans l’histoire, mais par ses émotions, que je connais très bien » – est aussi le fruit de sa rencontre avec la jeune néo-comédienne, et des liens qu’elles ont veillé à tisser avant d’entamer le tournage, apprenant à se connaître en multipliant les activités en commun. « J’aurais trouvé bizarre, surtout avec une enfant n’ayant pas d’expérience, de commencer dans les rôles de réalisatrice et d’actrice. On a pris le temps de se faire confiance, et cela a contribué à créer une atmosphère où, Lill et moi, nous avons créé Yuna ensemble. Il n’y avait pas une Yuna sur le papier que Lill devait jouer. On a cherché qui était Yuna et maintenant, avec un peu de recul, j’ai l’impression que Yuna est quelque part entre Yuna, qui est une fiction, Lill et moi. Il m’est d’ailleurs difficile de dire ce qui vient de Lill, de moi ou de Yuna, c’est devenu quelque chose de complexe, avec beaucoup de liens. »
Au plus personnel, au plus universel
Si Soft Leaves est une incontestable réussite, c’est notamment parce que le film choisit de se situer au niveau du ressenti intime de sa jeune protagoniste dans sa quête d’identité, manière aussi d’éviter les écueils et lourdeurs du film à thème. « Mon intention n’a jamais été de faire un film sur les différences culturelles, les différentes cultures ou le racisme, observe Miwako Van Weyenberg. Ces thématiques font bien sûr partie du film, sans que l’accent ne soit mis sur elles. Je n’ai pas de grand message à raconter au spectateur, tout passe par les petits détails et émotions, et par le style. Plus on va dans les détails personnels, plus ça devient universel. » Et de poursuivre, à propos de la double appartenance culturelle: « Une grande différence entre Yuna et moi, c’est que j’ai toujours été en contact avec les deux cultures. Je vivais à Bruxelles, j’allais à l’école néerlandophone, mais le samedi, je me rendais à l’école japonaise. Et j’ai aussi grandi avec une part importante de culture pop japonaise, j’avais toujours les deux. A l’âge de Yuna, 11 ans, c’était vraiment une crise d’identité. Ici, on me disait que j’étais japonaise alors que je me sentais quand même belge, et au Japon… Les clichés qu’on entend tout le temps, je les connais très bien. Mais aujourd’hui, c’est quelque chose de très positif pour moi d’avoir les deux. C’est pourquoi je ne voulais pas avoir quelque chose de lourd dans le film, sur le mode « les différences culturelles, c’est difficile… » La recherche d’identité culturelle m’accompagnera toute ma vie, je crois, mais c’est très positif à mes yeux. C’est une recherche positive qui continue. Si j’étais encore en crise d’identité plutôt qu’en recherche d’identité, je n’aurais pas été prête pour faire un film comme Soft Leaves. Je tenais à ce qu’on y trouve une part de nostalgie et de chaleur, parce que je ne voulais pas d’un film lourd. J’entends souvent des gens dire que faire des films est une thérapie, mais si tel était le cas, je ne l’aurais pas fait pendant sept ans. Pour moi, ce film correspond à l' »aftermath » d’une thérapie, et à l’envie de partager également. »
Pour transmettre ces sentiments complexes, Miwako Van Wayenberg a opté pour une mise en scène épurée et sensorielle, où les éléments naturels occupent une place prépondérante, que ce soit le vent dans les arbres – on pense, par moments, à La forêt de Mogari, de Naomi Kawase -, la lumière filtrant à travers leur feuillage – ce que les Japonais désignent par le terme « komorebi » – avec le sentiment de nostalgie diffuse qui en émane, ou encore ces oiseaux que Yuna observe et dessine sans relâche. Ce qui ne doit d’ailleurs rien au hasard, la cinéaste s’étant essayée au dessin avant de bifurquer vers le septième art. « J’étais à l’Académie des Arts, à Anderlecht, où on apprenait le dessin, mais je n’étais pas très douée. Et j’ai demandé si je pouvais faire une autre activité créative. J’avais trouvé une petite caméra mini DV de mon père, et j’ai commencé à construire des décors, à faire des vidéos… J’étais très très timide, dans mon cocon, et le cinéma et les films m’ont donné une voix. C’est une langue, pour moi : pour Yuna, c’est le dessin, et pour moi, c’est le cinéma. »