Chet Baker, entre ombre et lumière

Chet Baker

Réalisé en 1987 et récompensé du prix de la critique à Venise un an plus tard, Let’s Get Lost, le film que consacrait le photographe américain Bruce Weber au génial trompettiste jazz et chanteur Chet Baker, reste l’un des sommets incontestés du documentaire musical. C’est dire si sa ressortie en salles, dans une version impeccablement restaurée, constitue aujourd’hui un événement. « Chacun a son histoire sur Chet Baker », observe en voix off le réalisateur dans l’une des premières scènes du film, le musicien, né en Oklahoma pendant la Grande Dépression, ayant abondamment défrayé la chronique il est vrai. Celle de Weber tient donc dans un portrait éclaté, préférant à la chronologie un collage impressionniste où se télescopent séquences tournées en 1987 entre Santa Monica et Cannes et images d’archives, sessions d’enregistrement et témoignages de musiciens comme de proches, fulgurances créatives et addictions, beauté foudroyante et lassitude prématurée, dans une tentative d’approcher l’âme de l’interprète de Almost Blue et autre My Funny Valentine.

Si le film est une incontestable réussite, c’est parce que Weber l’a conçu avec la liberté apparente d’une improvisation, tout en s’effaçant devant le génie musical de Chet Baker – un trompettiste dont Charlie Parker en personne aurait dit à Miles Davis et Dizzy Gillespie : « Un petit blanc va vous donner du fil à retordre ». Assorti d’un soundtrack imparable, Let’s Get Lost tient ainsi de l’errance, zigzaguant dans les méandres d’une existence où la vulnérabilité suave de la voix – les lecteurs du magazine jazz Down Beat le classeront à égalité avec Nat King Cole dans leur poll en 1954, comme le confie, pas peu fière, sa mère – semble vouloir envelopper les failles et démons, le wonder boy des années 50 s’abîmant inexorablement dans l’héroïne. Et dérivant bientôt entre les engagements improbables et les femmes de sa vie, jusqu’à sa mort prématurée en 1988, après être tombé de la fenêtre de sa chambre d’hôtel à Amsterdam, à 58 ans à peine d’une vie brûlée par les deux bouts. Un parcours que le documentaire restitue tout en contrastes, touchant parfois au sordide pour mieux laisser ensuite la trompette de Baker s’échapper vers des horizons célestes, et vibrer au diapason d’un musicien dont la fragilité ne peut que vriller le spectateur. Un voyage entre ombre et lumière serti dans un noir et blanc léché auquel une étincelante restauration 4K restitue tout son lustre. Magique.

Let’s Get Lost

Documentaire de Bruce Weber. Avec Chet Baker, William Claxton, Carol Baker, Flea…

cote: 4/5

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