« Rendre la campagne sexy »

Rencontre avec Louise Courvoisier, qui signe avec "Vingt Dieux", son premier long métrage, un formidable récit d'apprentissage inscrit dans les paysages du Jura.
Louise Courvoisier. ©Marie Rouge/UniFrance

Premier long métrage de la réalisatrice française Louise Courvoisier, Vingt Dieux constitue assurément l’une des belles surprises de l’année. La cinéaste inscrit dans les paysages du Jura un récit d’apprentissage teinté de comédie, l’histoire de Totone, l’insouciance de ses 18 ans jusqu’au jour où un accident le laisse orphelin avec une petite soeur à charge et sans moyens pour subvenir à leurs besoins. A quoi il va tenter de remédier en fabriquant, avec l’aide de ses potes et le recours à divers stratagèmes, le meilleur Comté de la région dans l’espoir de remporter les 30.000 euros qui mettraient fin à ses problèmes… « J’ai grandi dans le Jura, dans un petit village qui s’appelle Cressia, explique la réalisatrice. Après mes études de cinéma à Paris et à Lyon, j’ai eu envie d’y rentrer et de faire ce premier film sur cette ruralité qui est assez peu représentée dans le cinéma. J’avais envie de parler de cette jeunesse rurale que j’avais côtoyée, qui est un peu abîmée, que personne ne veut trop montrer, et en faire un portrait assez humain et nuancé. C’est parti de là : l’idée de parler des jeunes de mon village avec qui j’ai grandi. » Soit, en l’occurrence, Totone et ses copains pieds nickelés, qu’elle cueille à un âge où les choses ne sont pas encore fixées, et où le temps s’écoule, pour l’essentiel, de fêtes de village en courses de stock-car. « C’est un âge qui m’intéressait parce qu’il y a encore beaucoup de choses qui sont assez naïves et enfantines, mais en même temps, il y a aussi du vécu et des choses bien abîmées. C’est un peu le début des responsabilités sans qu’on ait déjà basculé dans une direction de vie, on est vraiment dans un entre-deux, à un moment charnière. » Un espace tout trouvé pour y injecter de la fiction.

Ken Loach dans un paysage de western

Si le film n’occulte ni la précarité ni les difficultés qui guettent ses protagonistes, Louise Courvoisier évite cependant tout misérabilisme. « Trouver le bon endroit pour raconter cette histoire était le plus important pour moi. Je ne voulais pas que ce soit écrasant pour les personnages, ni rentrer dans le misérabilisme. J’avais envie de montrer les endroits difficiles, les endroits de violence, ceux où ils débordent aussi, ils ne sont pas toujours bons ou gentils, mais j’avais aussi envie de leur donner beaucoup de douceur et d’élan, de leur procurer les outils pour avancer, qu’ils ne soient pas juste passifs de leur vie et de leur situation. L’observation des gens autour de moi m’a permis de trouver le ton qui me semblait juste. » Conséquence directe: si l’arc narratif du film pourrait sembler assez sombre a priori, la cinéaste choisit de l’aborder sous un angle lumineux, tant par les ressorts d’une histoire empruntant par endroits les chemins de la comédie que par ses choix esthétiques. « La manière dont on a l’habitude de voir représentée la campagne est toujours un peu déprimante. Je voulais quelque chose de solaire, et c’est pourquoi j’avais envie de rentrer dans la fiction, de les sortir un peu de là, mais avec leurs outils, sans leur donner un happy-end complètement hors-sol. Ce n’est pas parce qu’on parle d’un contexte assez dramatique qu’il ne peut pas y avoir de l’humour, de la légèreté, de la lumière, de l’évolution et, peut-être, un espoir d’autre chose. Je me suis un peu inspirée de Ken Loach qui, même s’il y a de la violence et un contexte social difficile, réussit à mettre de l’humour, et n’a pas peur de rire même dans les endroits dramatiques. Et pour l’esthétique, j’ai cherché à ne pas rentrer dans quelque chose de trop naturaliste: je voulais rendre cette campagne sexy, lumineuse, solaire, esthétiser le côté rugueux que peut avoir le film. »

Une volonté qui se traduit notamment dans des plans de transition, inscrits dans des paysages résolument « bigger than life ». « Avec Elio Balézeaux, le chef-opérateur, on a travaillé à ouvrir cette campagne par l’image, avec presque un côté western dans notre manière d’approcher l’esthétique. On a les paysages qui permettent de le faire, mais c’est comme si on ne se l’était jamais autorisé, filmer cette campagne de cette manière-là. Je voulais qu’on aille vers du cinéma presqu’américain: on a ces montagnes, c’est une région qu’on ne voit jamais au cinéma et que je tenais à mettre en valeur. Et jouer sur des contrastes entre des plans très larges où on voit tout le paysage, et d’autres, très serrés, où on est avec eux, dans une esthétique presque sensuelle des corps. »

Ne pas tricher

Outre ces choix, la réussite de Vingt Dieux tient aussi au sentiment de justesse qui en émane. « On filme mieux l’endroit qu’on connaît par coeur, observe Louise Courvoisier. Je suis très attachée à mon territoire, même mes courts métrages, je les ai tournés dans le Jura. C’est ma manière de travailler: en dehors de ce que je raconte dans le film, j’ai besoin qu’il y ait un sens dans ma manière de le fabriquer. Et je fabrique entourée de ma meute, avec beaucoup de gens de ma famille dans l’équipe, et en prenant des gens de ma région. Là, j’avais vraiment beaucoup d’alliés sur place, des agriculteurs, qui ont travaillé avec nous sur le film. C’est important pour moi pour diriger des équipes, me sentir solide à mon endroit de réalisatrice. J’ai besoin d’être très bien entourée, tourner sur place est aussi une manière pour moi d’être vraiment ancrée et de savoir où je vais. »

Un souci de vérité et un ancrage local ayant également guidé le casting, la réalisatrice ayant choisi de ne faire appel qu’à des non-professionnels. Au premier rang desquels Clément Faveau, qui prête ses traits de Totone, et Maïwène Barthelemy, qui interprète Marie-Lise, la jeune fermière avec qui il va entamer une relation, l’un comme l’autre étant formidables de naturel. « Je n’ai jamais envisagé de travailler avec des comédiens professionnels pour ce film, souligne la réalisatrice. Je me suis tellement inspirée de mon entourage que je me suis dit que je n’arriverais jamais à y croire si je prenais des acteurs qui viennent imiter l’accent. Je cherchais trop quelque chose de vrai à cet endroit-là, et une vraie rencontre entre les gens de la région et le public, je ne me voyais pas tricher. J’ai besoin d’être inspirée à chaque étape, et d’y croire. » De son propre aveu, le casting n’aura cependant pas été une mince affaire: « On a commencé à passer des annonces, mais personne ne venait, parce que ce n’est pas leur univers, ils n’ont aucune raison de s’intéresser au cinéma. Après, on est allées, avec une directrice de casting, les chercher à la sortie des lycées agricoles, dans les bals, les fêtes de village, et on leur proposait de passer un casting. Souvent, ils pouvaient dire non… » A l’instar de Clément Faveau d’ailleurs, qui commencera par refuser avant de se raviser…

Des films avec des vaches

Avec ce portrait de la jeunesse rurale, c’est aussi une réalité à laquelle le cinéma français n’a guère prêté attention que montre Louise Courvoisier. La conséquence, explique-t-elle, d’éléments objectifs : « Il n’y a pas eu beaucoup de réalisateurs-réalisatrices issus de ces milieux-là. Moi, c’est presque par hasard que je me suis retrouvée à faire du cinéma vu d’où je viens, ça s’est un peu trouvé sur ma route, et je me suis approprié ce média pour raconter des choses. Mais autour de moi, je vois tous les Totone et tout ça, c’est pas eux qui vont aller chercher une caméra pour raconter un film, parce que ça ne fait tellement pas partie de leur milieu. C’est aussi pour ça que pendant le casting, j’avais du mal à trouver des gens. S’approprier le média du cinéma pour raconter des choses de la manière dont je le fais, cela demande de bien connaître son sujet. Beaucoup de réalisateurs-réalisatrices venant de Paris se sont plus appropriés ce paysage-là pour raconter des histoires. J’ai l’impression que ça tient à ça, et que maintenant, ça commence à intéresser un peu plus, comme si on suffoquait et qu’on avait besoin de cette ouverture. »

De là à voir, dans la foulée des films d’Alain Guiraudie ou de Hubert Charuel par exemple, l’espace rural comme un nouveau territoire de cinéma? « Je le ressens, mais j’ai aussi ressenti, quand j’écrivais Vingt Dieux, qu’on me comparait toujours aux mêmes films qui sont, en gros, les trois films qui ont été tournés où il y a des vaches et des fermes. Et je me disais: « c’est marrant, il y a tellement peu de films qui ont été faits sur la campagne qu’ils sont tous associés les uns aux autres, parce qu’on n’a pas d’autre référentiel. » A Paris, on ne va pas comparer deux films parce qu’il y a un appartement dans les deux… Là, il y a des vaches, c’est un peu la même chose. » Du coup, j’ai senti qu’il y avait comme un quota, du genre : « ça va, on a déjà vu des films avec des vaches, est-ce qu’on peut passer à autre chose. » Alors que ce n’est pas la même approche parfois. J’ai l’impression de faire un film complètement différent, et ils sont associés parce qu’ils sont peu nombreux. J’ai senti qu’on était encore loin de vraiment pouvoir explorer des situations de fiction, des films qui ne sont pas juste sur la situation des agriculteurs et des gens de la compagne, de sortir un peu de ce portrait social, mais de pouvoir aussi intégrer de la fiction et raconter des histoires différentes, en faire une vraie arène de cinéma. On n’en est pas encore là, mais on avance. »

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