De Megalopolis, on a longtemps craint qu’il ne reste à l’état de rêve, le projet, porté par Francis Ford Coppola depuis le début des années 80, ayant fait face à des problèmes divers, son financement n’étant pas le moindre. Un écueil que le réalisateur de The Conversation finira par surmonter en vendant (une bonne partie de) ses vignobles de Californie, histoire de pouvoir donner à sa vision utopiste l’ampleur qu’elle méritait. Résultat sans doute de cette longue gestation: le film, qui débarque aujourd’hui sur nos écrans après avoir connu un accueil contrasté lors du dernier festival de Cannes, se frotte à une équation a priori insoluble : préserver son caractère visionnaire à un concept imaginé il y a plus de trois décennies – une éternité en cinéma. A quoi Coppola répond en recourant à une imagerie rétrofuturiste un brin surannée, au service de l’universalité et de l’intemporalité du propos.
Située au 21e siècle, dans une New York guettée par la décrépitude, l’intrigue principale gravite autour de Cesar Catilinia (Adam Driver), un architecte génial, maître du temps et inventeur du Megalon, un matériau révolutionnaire dans lequel il ambitionne de construire Megalopolis, une cité idéale pour ses concitoyens, en lieu et place de la chute annoncée – la ville étant rebaptisée New Rome, le parallèle avec l’empire romain est plus que suggéré. Face à lui, Franklin Cicero (Giancarlo Esposito), le maire cupide et affairiste à la solde de quelques familles de privilégiés, leurs visions s’opposant alors que Julia (Nathalie Emmanuel), la fille jet-setteuse de Cicero, n’est pas insensible au charme de Cesar. A quoi viennent se greffer diverses intrigues secondaires, et notamment celle voulant que Clodio (Shia LaBeouf), le cousin arriviste et envieux de Cesar, tente de s’assurer les faveurs du patriarche fortuné de la famille, Hamilton Crassus III (Jon Voight)…
« N’imaginez pas un avenir meilleur, bâtissez-le » : le slogan barrant les affiches de Megalopolis situe l’ambition de Francis Ford Coppola, qui se pose ici en maître artisan d’une utopie généreuse pour le futur, en réponse à l’incertitude des temps présents, explorant au passage les rapports entre art et pouvoir. Fascinante, foisonnante et déconcertante, la fable ne va pas sans certaines lourdeurs: la comparaison avec l’empire romain (une métaphore qu’il filait déjà dans The Godfather II) est appuyée à l’excès, le décorum évoque par endroits un péplum kitsch, les innombrables citations donnent à l’ensemble un tour sentencieux et boursouflé, et l’on peut considérer, à moult égards, le réalisateur comme déconnecté de son temps. Pour autant, le film séduit aussi bien par sa vision humaniste que par la foi inaltérable dans le cinéma qui s’y exprime. A quatre-vingt cinq ans bien frappés, Coppola continue à expérimenter jusqu’au vertige, Megalopolis n’étant pas sans rappeler, par ses audaces et fulgurances visuelles, One from the Heart, le film pour lequel il avait recrée Las Vegas en studio, misant déjà à l’époque sa fortune dans une entreprise à hauts risques. Quarante ans plus tard, la donne n’a donc guère changé, et il est tentant, comme ce fut le cas pour Tucker à la fin des années 80, de voir dans l’architecte de Megalopolis défiant le temps et le système, un auto-portrait de l’artiste. Mégalomane et déphasé, sans doute, mais animé par un désir intact, et posant avec ce film-monde un geste créatif d’un panache fou.
Megalopolis
Fable de Francis Ford Coppola. Avec Adam Driver, Nathalie Emmanuel, Giancarlo Esposito.
Ah ça donne envie de s’y aventurer