Dix ans après L’inconnu du lac, le film qui l’imposait définitivement, Alain Guiraudie s’offre un nouveau détour par le thriller (décalé) avec Miséricorde. Le décor en est cette fois le petit village aveyronnais de Saint-Martial et les forêts avoisinantes, ceints de couleurs automnales quand y débarque Jérémie (Félix Kysyl, épatant), de retour au pays pour les funérailles du boulanger, son ancien patron. A peine installé chez sa veuve, Martine (l’impeccable Catherine Frot), l’insaisissable jeune homme va se trouver au coeur d’un étrange ballet, suscitant la jalousie de l’un, l’hostilité de l’autre et la curiosité de tous, le curé (formidable Jacques Develay) le premier, qui n’en perd pas une miette alors que la bourgade semble renaître au désir. Moment où une disparition mystérieuse vient rebattre les cartes…
Adepte des chemins de traverse, Alain Guiraudie continue, avec Miséricorde, à creuser un sillon on ne peut plus singulier. Adapté, comme son précédent Viens je t’emmène, de son roman Rabalaïre, le film semble ne réunir les ingrédients du polar que pour mieux les subvertir au gré d’une intrigue méandreuse inscrite dans un paysage rural où le désir circule en toute liberté. D’humeur ludique, le réalisateur de Rester vertical laisse sa caméra musarder entre cueillette des champignons et apéros chargés, et se joue allègrement des attentes pour livrer un conte érotisé joyeusement amoral. Chemin faisant, on aura rencontré l’amour et la mort; croisé une galerie de personnages majuscules; apprécié les bifurcations burlesques d’un récit tout en non-dits et ambiguïtés; goûté, encore, au plaisir d’un cinéma non formaté. Eminemment délectable.
Miséricorde
Thriller forestier d’Alain Guiraudie. Avec Félix Kysyl, Catherine Frot, Jacques Develay.