Dixième long métrage de Jacques Audiard, Emilia Pérez voit le réalisateur de Sur mes lèvres s’aventurer en terrain inattendu, celui d’un mélodrame musical en espagnol situé dans le milieu des narcotrafiquants mexicains. L’action débute quand Rita (Zoe Saldana, époustouflante), une talentueuse avocate exploitée dans un cabinet de légistes corrompus, est enlevée par Manitas del Monte (Karla Sofia Gascon), le boss ultraviolent d’un cartel de la drogue. Son angoisse se mue en surprise lorsque ce dernier lui propose, de solides arguments financiers à l’appui, de l’aider à changer de vie et de sexe, pour enfin devenir la femme qu’il a toujours voulu être. Après avoir exfiltré sa famille qui ignore tout de ses projets avec le concours de Rita, le seigneur du crime va mettre en scène sa propre disparition. Pour mieux réapparaître quatre ans plus tard sous les traits d’Emilia Pérez, une femme animée des meilleures intentions.
Adoptant les contours et les conventions (mélo)dramatiques d’une telenovela, Emilia Pérez envoie valdinguer la vraisemblance et le réalisme. Si ce choix nuit quelque peu à la tension du thriller, il offre aussi à Audiard un formidable espace de liberté, le cinéaste signant un film de toutes les audaces, tant formelles que narratives. Et osant les ruptures de ton comme le kitsch assumé; l’exacerbation des sentiments comme les passages chantés débridés, chorégraphiés avec brio par Damien Jalet. Porté par un souffle romanesque puissant et une énergie enivrante, illuminé par son épatant quatuor d’actrices (les deux susnommées, ainsi que Selena Gomez et Adriana Paz, auréolées d’un prix d’interprétation collectif à Cannes), Emilia Pérez va bien au-delà de l’exercice de style(s), pour se poser en modèle de film transgenre, la rédemption en ligne de mire. Non sans souligner au passage l’étonnante faculté de son auteur à se réinventer film après film. Improbable, mais plus encore imparable.
Emilia Pérez
Mélodrame musical de Jacques Audiard. Avec Zoe Saldana, Karla Sofia Gascon, Selena Gomez.