Ultime film d’Akira Kurosawa, Mâdadayo (1993) voyait le maître japonais rendre un hommage inspiré à Hyakken Uchida, écrivain populaire et anticonformiste notoire, doublé d’un enseignant vénéré par ses étudiants – l’angle adopté par le réalisateur de Vivre pour en tirer le portrait. L’histoire s’ouvre en 1943 lorsque, ayant atteint un âge respectable, le professeur (joué par Tatsuo Matsumara, déjà de Dodes’kaden) prend congé de ses élèves pour se consacrer à ses écrits aux côtés de son épouse (l’immense Kyôko Kagawa). Afin de lui témoigner leur reconnaissance, ses disciples décident d’organiser chaque année un banquet en son honneur, l’occasion de lui poser la question « Mâdakai » – Êtes-vous prêt (sous-entendu à quitter ce monde) ? A quoi le vieux sage s’exclame invariablement « Mâdadayo! » – pas encore -, non sans écluser un énorme verre de bière, en prélude à des réjouissances fort arrosées. Et le rituel de se répéter à chaque anniversaire, la taille décroissante du verre traduisant discrètement le poids des années…
Loin des films de samouraïs qui avaient fait sa réputation – les Rashomon, Kagemusha ou autres Sept Samouraïs notamment -, Kurosawa livre, avec Mâdadayo, une oeuvre intimiste de toute beauté, adossant aux ruines du Japon dévasté par la guerre cette chronique du temps qui s’écoule au rythme des saisons, perspective envisagée dans un mélange de sérénité et de légèreté. Fin lettré, Uchida a aussi l’esprit facétieux en effet, et le film n’est pas avare en épisodes savoureux, tout en baignant dans une douce mélancolie – on pense au cinéma d’Ozu, mais aussi, plus près de nous, au Perfect Days de Wenders. Kurosawa, non content de célébrer délicatement un certain art de vivre, y porte un regard apaisé sur l’existence, introspection qu’il ponctue de la plus lumineuse des manières, à hauteur d’un rêve d’enfance. Magnifique.
Mâdadayo
Drame. De Akira Kurosawa. Avec Tatsuo Matsumara, Kyôko Kagawa. 1993. Disponible sur Sooner et la Cinetek.
